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Entretien avec Laura Bernardi, nouvelle présidente de la Division 1 du Conseil national de la recherche

Fabienne Jan, Collaboratrice scientifique ASSH

La professeure en démographie Laura Bernardi, membre du Comité de l’ASSH, nous parle de ses nouvelles fonctions auprès du FNS.

Madame Bernardi, en décembre dernier, vous avez été élue présidente de la Division 1 (sciences humaines et sociales) du Conseil de la recherche du Fonds national suisse (FNS). Vous avez pris vos fonctions au 1er janvier de cette année. Quelle est votre tâche dans ce nouveau rôle ?

Les tâches sont multiples. Elles comprennent notamment la coordination des séances mensuelles qui regroupent les 23 conseillers et conseillères à la recherche appartenant à de multiples disciplines et hautes écoles suisses et actifs dans les différents domaines des sciences humaines et sociales (SHS). Ces séances sont des occasions importantes de discuter collectivement des exigences communes et des spécificités des SHS en relation à la politique scientifique liée à la recherche et aux carrières académiques. Il y a aussi la participation à la présidence du FNS, qui profile la vision, les objectifs à moyen et long terme, les stratégies pour y parvenir ainsi que l’insertion de l’institution dans le panorama académique suisse et international.

J’ai également pour tâche de présider les sessions d’évaluation des projets individuels. La division assure le traitement des multiples requêtes de financement soumises chaque année au FNS et participe aux nombreuses commissions spécifiques. Enfin, cette année, j’ai aussi l’honneur de présider le panel qui attribuera le prix de la Fondation Marcel Benoist 2021 à un chercheur ou une chercheuse qui excelle dans le domaine des SHS en Suisse.

Comme vous le mentionnez, le Conseil de la recherche est l’instance d’évaluation des milliers de demandes de subsides soumises annuellement au FNS. Ce travail de milice implique un engagement et un investissement en temps considérables. Qu’est-ce qui peut pousser un chercheur ou une chercheuse à briguer pareil mandat, sachant que cette charge de travail supplémentaire risque de porter préjudice à ses propres recherches scientifiques ?

Mon intérêt pour ce rôle a mûri durant mon expérience très positive au sein du FNS de ces trois dernières années, d’abord comme membre de la commission Ambizione, puis comme membre du Conseil de la recherche dès 2018 et, en 2020, de sa commission interdisciplinaire. En exerçant mes fonctions au sein du FNS, j’ai eu l’occasion d’apprécier les échanges sur les enjeux liés à la politique scientifique nationale en général et à leur signification pour les SHS en particulier. L’ambiance de travail qui règne au FNS est stimulante, grâce à l’engagement des collègues et au professionnalisme de toute l’équipe du Secrétariat.

Contribuer à créer les conditions cadres pour la recherche fait partie de la carrière d’un chercheur ou d’une chercheuse. Qui pourrait mieux en comprendre les enjeux ?

Le surcroît de travail et de responsabilités force à davantage déléguer la recherche et j’avoue que je cherche encore dans ces trois premiers mois un équilibre satisfaisant. Mais je suis aussi convaincue que le service à la communauté scientifique est aussi important et gratifiant. Contribuer à créer les conditions cadres pour la recherche fait partie de la carrière d’un chercheur ou d’une chercheuse. Qui pourrait mieux en comprendre les enjeux ? Les défis qui retiennent mon attention dans ce sens sont : la multidimensionalité des définitions des critères de qualité et d’innovation dans la recherche en général et dans les SHS en particulier ; la promotion de l’interdisciplinarité ; le profilage des carrières scientifiques et leur diversité ; la production, l’archivage, l’exploitation efficace et la protection des données.

Plus récemment, la crise sanitaire actuelle me semble aussi montrer l’importance de mener une réflexion sur la capacité du FNS à réagir rapidement aux urgences sociétales avec des mesures de financements ciblés et une coordination d’expert·e·s, qui soit à la fois inclusive et efficace, au service des instances décisionnelles. Pour tirer les enseignements d’une telle crise, à côté des avancées des sciences de la vie, nous avons besoin des compétences analytiques et spécifiques des SHS.

En 2020, le FNS a annoncé qu’il reprenait désormais dans l’encouragement des carrières les recommandations de la déclaration DORA. Au lieu des facteurs d’impact, d’autres critères tels que la collaboration avec des partenaires, la communication avec le public ou les lots de données seront davantage pris en considération. Comment cela sera-t-il mis en œuvre concrètement ?

Il y a différentes mesures qui ont été adoptées pour mettre en œuvre les recommandations de la déclaration DORA, et en premier lieu la formation des membres des différents panels d’évaluation aux principes défendus par la déclaration. Le FNS adopte les recommandations DORA en ne basant plus les évaluations sur le facteur d’impact des revues, mais en prenant en compte l’ensemble des résultats de recherche et leur qualité, y compris les collaborations de recherche, la communication avec le public, les instruments ou encore les données de recherche produites.

Un exemple est le projet pilote sur le curriculum vitae scientifique. Depuis le printemps 2020, le FNS réfléchit à un nouveau format, qui s’éloigne de la liste de publications favorisant une évaluation du type bibliométrique. Le projet pilote a été conduit en biologie et médicine ; il consiste à demander aux chercheuses et chercheurs d’intégrer leurs contributions principales dans un format de CV standardisé qui permet de mettre en évidence la diversité des recherches et de mieux comparer les dossiers des requérant·e·s.

Cela a-t-il des conséquences spécifiques pour les sciences humaines et sociales ?

J’espère que les conséquences de cette manière d’évaluer la valeur de la recherche et les carrières, qui laisse plus de place à l’expression de la diversité de la production scientifique et à la définition de sa valeur, seront importantes pour toutes les sciences, et non seulement pour les SHS.

Qu’aimeriez-vous accomplir pendant votre mandat de présidente de division ? Vous êtez-vous fixé des objectifs particuliers ?

S’agissant plus particulièrement de la division des SHS et de son positionnement, il me semble essentiel de mettre en lumière la pertinence et l’utilité sociales de ces disciplines au moyen de critères qui leur sont propres, et ceci en dialogue plutôt qu’en opposition avec celles et ceux qui appartiennent à d’autres domaines scientifiques. Ma discipline étant la démographie, un champ interdisciplinaire par excellence se situant entre les statistiques, les sciences de la vie et les sciences sociales, je sais bien que cette conciliation demande un effort, mais aussi qu’elle est porteuse de connaissances qui ne seraient que partielles si cet effort était négligé.

Un deuxième défi est le maintien de l’interaction dynamique et collaborative qui règne actuellement entre les SHS, au travers d’une réflexion constante visant à réduire la distance épistémologique par le partage des pratiques et des principes de qualité scientifique. Ma formation antérieure en philosophie et histoire suivie de ma « vie » en sciences sociales est un atout face à la nécessité de concilier des perspectives différentes. Ma place au Comité́ de l’ASSH va dans la même direction et, d’ailleurs, cette position m’a permis de relever la synergie potentielle entre le rôle de l’Académie et du FNS, les deux institutions s’adressant à la même communauté scientifique. Une telle synergie, très souhaitable, attend encore, il me semble, d’être pleinement réalisée.

Laura Bernardi est professeure ordinaire en démographie à l’Université de Lausanne et cheffe de projet auprès du pôle de recherche national LIVES. Elle est membre du Comité de l’ASSH.

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