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« Pour affronter les problèmes de l’Anthropocène, nous devons faire appel aux sciences humaines »

Fabienne Jan
Nachhaltigkeit Gesellschaft – Kultur – Sprache

Marc-Antoine Kaeser met en lumière dans son essai la contribution précieuse de l’archéologie aux objectifs du développement durable. Mini-entretien.

Vous démontrez dans votre essai la légitimité d’une meilleure intégration de la recherche archéologique dans les doctrines et les pratiques de l’aménagement du territoire. Pour quelle raison avez-vous examiné cette question en faisant un grand détour historiographique ?

L’histoire des sciences révèle, entre des disciplines aujourd’hui parfois éloignées, des filiations et des parentés qui peuvent nous aider à dépasser certains clivages qui se sont creusés avec la spécialisation des savoirs. Ainsi, de manière a priori surprenante, on constate que ce sont des architectes et des ingénieurs qui ont assuré l’émergence et les premiers progrès de l’archéologie. Concrètement, les sciences de l’Antiquité étaient mobilisées pour alimenter l’innovation technologique et la création artistique. Et jusqu’au début du XXe siècle, les enseignements de l’archéologie ont été massivement exploités pour les projets d’aménagement urbanistique, pour le développement des voies de communication comme dans le cadre des réformes agraires.

Cette rétrospective historique fait notamment ressortir le tournant majeur impliqué par la mise en œuvre de la Convention de Malte, adoptée en 1992. En quoi consiste ce virage, que vous qualifiez de « mutation épistémologique décisive » ?

Au travers de la Convention de Malte, l’objectif du Conseil de l’Europe consistait à concilier le développement économique et la protection du patrimoine. À l’instar des études d’impact environnementales, le risque patrimonial doit désormais être pris en compte dans l’aménagement du territoire. Or, pour les archéologues, qui étaient habitués à intervenir dans l’urgence, cette démarche dite « préventive » a impliqué une véritable révolution méthodologique. Car pour anticiper la menace sur des vestiges enfouis et donc encore inconnus, il a fallu développer des outils de détection, des indicateurs et des approches prédictives.

Votre publication est aussi un plaidoyer en faveur de la transdisciplinarité et en particulier un appel à une meilleure prise en considération de la place des humanités dans l’économie sociale. En quel sens ?

Dans leur rapport au monde, nos sociétés ont longtemps privilégié une approche focalisée sur les dimensions matérielles, car celles-ci semblaient pouvoir être maîtrisées de manière objective grâce aux sciences dites « exactes ».

Nos sociétés ont longtemps privilégié une approche focalisée sur les dimensions matérielles, car celles-ci semblaient pouvoir être maîtrisées de manière objective grâce aux sciences dites « exactes ».

Or, pour affronter les problèmes de l’Anthropocène, dans l’aménagement du territoire comme dans d’autres domaines (économique, sanitaire, énergétique, etc.), il est indispensable de faire appel aux enseignements qualitatifs des sciences humaines. Par leur prise en compte de la subjectivité, celles-ci permettent en effet de toucher au levier décisif du changement pour l’humanité : les valeurs culturelles.

Pour prolonger l’enquête historiographique, imaginons que vous deviez porter un regard prospectif sur l’archéologie future, disons celle du tournant du XXIIe siècle. Quel sera son statut ? Quel rôle jouera-t-elle selon vous ?

L’exercice d’anticipation futuriste est malaisé, mais pour être franc, je doute qu’il y ait encore des archéologues au siècle prochain. Notre discipline s’est développée à la faveur de cette extraordinaire foi dans le progrès qui est une caractéristique majeure de notre civilisation.

Notre discipline s’est développée à la faveur de cette extraordinaire foi dans le progrès qui est une caractéristique majeure de notre civilisation.

Or je pense que cette civilisation disparaîtra avant la fin du XXIe siècle. De nouvelles façons d’habiter le monde se développeront, avec de nouvelles cultures, où il n’y aura probablement pas besoin d’archéologie pour s’affirmer face au passé…

Questions : Fabienne Jan

Indications bibliographiques et Open Access

Kaeser, Marc-Antoine (2022) : Archéologie et aménagement du territoire. Histoire et épistémologie de la sauvegarde du patrimoine, sous l’angle du développement durable, éd. par l’ASSH (Conférence de l’Académie XXIX / Swiss Academies Communications 17,3).

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