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Le nombre d’étudiant·e·s en sciences humaines et sociales stagne

Heinz Nauer, Stella Noack (SAGW) | Traduction : Fabienne Jan (SAGW)

En Suisse, près de 47 000 personnes sont actuellement inscrites à l’université en sciences humaines et sociales. Si ce chiffre est nettement plus élevé que dans les autres domaines d’études, la courbe fléchit.

Les représentant·e·s des disciplines et les doyen·ne·s s’inquiètent de l’évolution du nombre d’étudiant·e·s dans les cursus de sciences humaines et sociales. Cette préoccupation a récemment donné lieu à quelques initiatives au sein de l’ASSH, parmi lesquelles la campagne etudierlhistoire.ch de la Société suisse d’histoire (SSH). Le site Internet de la campagne est en ligne depuis le 28 août. Le Secrétaire général de la SSH, Flavio Eichmann, en explique l’intention : « Par cette campagne, nous entendons convaincre les gymnasien·ne·s des avantages que présente l’étude de l’histoire en leur montrant tout ce que l’on peut apprendre dans le cadre d’un cursus d’histoire, la variété des perspectives de carrière qu’ouvre ce cursus et le caractère infondé des préjugés ambiants à ce sujet. »

Initiative de la Société suisse d’histoire

Fin août, la Société suisse d’histoire a lancé la campagne « Étudier l’histoire. Ecrire ta propre histoire ». L’objectif de la campagne est de convaincre les bacheliers et bachelières de l’attractivité des études d’histoire.

vers la campagne

Les sciences humaines et sociales sont-elles en train de plonger ? Évolution du nombre d’étudiant·e·s

D’après le magazine en ligne Watson (en allemand uniquement), qui n’hésite pas à adopter un ton dramatique dans son article, les sciences humaines et sociales seraient « en déclin » (im Niedergang). Que disent réellement les chiffres ? Entre 2021/22 et 2022/23, le nombre total d’étudiant·e·s dans les hautes écoles suisses a enregistré un léger recul (0,6 %) pour la première fois en près de trente ans. Cette baisse s’explique notamment par l’évolution démographique. Au début des années 2000, le taux de natalité a connu un creux en Suisse. Or ce sont justement les enfants nés à cette période qui sont désormais en âge de s’inscrire dans les hautes écoles. Pour le moment, le recul du nombre d’étudiant·e·s ne se répartit pas de façon homogène entre tous les domaines d’études. Tandis que le nombre d’étudiant·e·s en médecine et en pharmacie ainsi qu’en sciences techniques et en sciences exactes et naturelles est resté constant ou a très légèrement augmenté, celui des étudiant·e·s en sciences humaines et sociales ainsi qu’en sciences économiques a reculé d’environ 2 %. En chiffres absolus, les sciences humaines et sociales regroupent néanmoins toujours – et de loin – le plus grand nombre d’étudiant·e·s (tab. 1).

À quoi ressemblent les chiffres sur une période plus longue ? Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique offrent une comparaison entre les domaines d’études depuis 1990/91. Il s’avère que le nombre d’étudiant·e·s en sciences humaines et sociales entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000 a augmenté de façon disproportionnée par rapport à la croissance totale du nombre d’étudiant·e·s (graphique 1). En 1995/96, les sciences humaines et sociales comptaient quelque 29 000 étudiant·e·s, contre 42 000 déjà dix ans plus tard (graphique 2), ce qui représentait à l’époque plus de 37 % de l’ensemble des étudiant·e·s des hautes écoles universitaires. Par la suite, cette croissance s’est ralentie, jusqu’à devenir finalement négative. En 2022/23, la part des étudiant·e·s en sciences humaines et sociales s’élevait à peine à 28 %. On remarque également que le nombre d’étudiant·e·s dans les domaines d’études «  sciences économiques » et « droit », qui, selon les approches, peuvent être considérés comme faisant partie des sciences humaines et sociales, ont stagné pendant dix ans avant de tout récemment reculer.

Les disciplines traditionnelles humanistes ont tendance à perdre du terrain

Le nombre d’étudiant·e·s dans les différentes disciplines du domaine des sciences humaines et sociales évolue de façon très diverse. Certaines disciplines ont pu enregistrer une nette augmentation ces dernières années, notamment la psychologie, qui connaît un véritable essor, mais aussi la linguistique, la géographie humaine, la théologie ou la philosophie (tab. 2). D’autres filières comme les langue et littérature allemandes, les sciences politiques, l’ethnologie et les sciences des traditions populaires ont en revanche perdu de nombreux étudiant·e·s. Les disciplines traditionnelles humanistes ont tendance à perdre du terrain.

C’est l’histoire qui fait figure de grande perdante en chiffres absolus, avec une perte de plus de 20 % de ses étudiant·e·s depuis 2013/14. Pour Flavio Eichmann, cette évolution est notamment due à des raisons internes. Selon lui, de nombreuses matières traditionnelles comme l’histoire se seraient affaiblies d’elles-mêmes en créant des programmes d’études spécialisés, les statistiques rattachant désormais les étudiant·e·s concerné·e·s à d’autres disciplines.

Mettre les organes de représentation spécialisés à contribution

Il est difficile de désigner les causes de ces évolutions. C’est ce que confirment également les services d’orientation des Universités de Berne, Bâle et Zurich ainsi que du canton de Zurich, auxquels l’ASSH a demandé une estimation de la situation. La pratique ne permet pas de savoir si certaines filières des sciences humaines et sociales font l’objet d’entretiens de conseil ni pourquoi.

Il faudrait également inclure les chiffres relatifs aux cursus d’études des hautes écoles spécialisées pour expliquer l’évolution variable des différents domaines d’études au sein des universités. Plusieurs domaines d’études, tels que la linguistique appliquée, la psychologie appliquée, le travail social, le design ou la musique, le théâtre et d’autres arts, proches des cursus de sciences humaines et sociales au sein des universités, ont connu ces vingt dernières années une croissance plus forte que leurs disciplines apparentées à l’université et comptent aujourd’hui quelque 22 000 étudiant·e·s (2000/01 : 5300, 2010/11 : 17 300). Grâce aux offres des hautes écoles spécialisées, les jeunes ont davantage d’options dans le choix de leurs études. Il semble évident qu’au moins une partie des gymnasien·ne·s qui auraient jeté leur dévolu sur des études d’histoire de l’art dans une université il y a dix ou vingt ans optent aujourd’hui pour des études de design dans une haute école spécialisée.

Pour interpréter le nombre d’étudiant·e·s, on a parfois tôt fait d’invoquer le concept de « changement sociétal ». Pourquoi étudier la langue et la littérature françaises quand le monde occidental communique largement en anglais ? Mais Flavio Eichmann voit aussi des raisons concrètes derrière l’évolution du nombre d’étudiant·e·s, et met les représentant·e·s des disciplines devant leurs responsabilités : « J’aimerais que les sciences humaines et sociales investissent davantage au niveau du gymnase et se vendent avec plus d’assurance. » Selon lui, les représentant·e·s des intérêts des sciences humaines et sociales auraient trop longtemps observé les autres disciplines faire une publicité intensive auprès des gymnasien·ne·s, organiser des journées de visite à l’EPF ou distribuer des labels tels que « gymnase actif dans les domaines MINT », sans agir eux-mêmes.

1 L’Office fédéral de la statistique regroupe dans les branches d’étude avec la mention « pluridisciplinaire/autre » le nombre d’étudiant·e·s des filières d’études qui ne peuvent être clairement affectées à une branche d’études. La catégorie regroupe en premier lieu les cursus interdisciplinaires. Comme chaque université décide quels cursus elle intègre dans son décompte, le calcul est très complexe.

Sources

Office fédéral de la statistique : Studierende an den universitären Hochschulen : Basistabellen, 1990-2022. Tab. 3.1 : Studierende nach Fachbereichsgruppe, Geschlecht und Staatsangehörigkeit (Kategorie), Entwicklung seit 1990/91, Tab. 7 : Studierende nach Fachrichtung und Geschlecht, Entwicklung seit 2013/2014

Office fédéral de la statistique : Étudiants des hautes écoles spécialisées (y c. HEP) : tableaux de base, 1997-2022. Tab. 3.1 Étudiants selon le domaine d’études, le sexe et la nationalité (catégorie), évolution depuis 1997/98.

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