Prix de la Relève de l'ASSH 2022 : les lauréat·e·s

Prix de la Relève or

Foos, Florian et Daniel Bischof (2021) : Tabloid Media Campaigns and Public Opinion : Quasi-Experimental Evidence on Euroscepticism in England, dans : American Political Science Review 116,1, pp. 19-37. https://doi.org/10.1017/S000305542100085X 

L’influence du journal Sun sur l’euroscepticisme en Angleterre

Le populaire tabloïd britannique Sun a longuement et régulièrement critiqué l’UE. Il a même donné une recommandation de vote en faveur du référendum sur le Brexit. Les politologues Florian Foos et Daniel Bischof ont pu démontrer que la campagne médiatique menée pendant des années avait effectivement renforcé l’euroscepticisme au sein de la population. Pour leur recherche, ils se sont servis d’une situation exceptionnelle : dans le district de Merseyside, au nord de l’Angleterre, le Sun est boycotté depuis 1989 parce qu’il a présenté de manière erronée la tragédie du stade de football d’Hillsborough qui a fait 97 morts à l’époque. Les auteurs ont comparé les opinions politiques dans le Merseyside avec celles d’autres districts du nord de l’Angleterre où le Sun continuait à circuler. Ils ont constaté que la population de Merseyside était nettement moins eurosceptique en raison du boycott du Sun. L’effet du boycott du Sun est particulièrement fort chez les personnes ayant un faible niveau d’éducation et chez celles qui avaient moins de 17 ans au début du boycott : les premières constituent le lectorat traditionnel du Sun, les secondes se trouvaient à un âge où se forment habituellement des opinions politiques stables.

L’article récompensé s’inscrit dans le débat sur la force d’impact des médias et leur importance pour les démocraties. Au cours de la dernière décennie, différentes études ont montré que les informations diffusées par les médias n’influencent guère les opinions politiques à court terme. Daniel Bischof et Florian Foos parviennent à démontrer que les campagnes médiatiques à long terme peuvent tout à fait avoir un impact sur les opinions politiques – en particulier sur les sujets pour lesquels les opinions ne sont pas encore consolidées.

Extrait du communiqué de presse de l’ ASSH

Lauréats : Florian Foos et Daniel Bischof

Florian Foos

Florian Foos est professeur assistant de comportement politique à la London School of Economics depuis 2019. Auparavant, il était Lecturer en sciences politiques au King's College de Londres. Il a obtenu son doctorat en sociologie à l'Université d'Oxford en 2015, après avoir terminé ses études à Oxford (MSc) et à l'University College London (BSc Hons). De 2014 à 2017, il était maître-assistant à la chaire de Fabrizio Gilardi à l'Université de Zurich. Dans ses recherche, Florian Foos analyse l'influence des interactions sociales sur le comportement politique des électrices et électeurs. Actuellement, il se penche sur la question de comment les acteurs politiques et les médias influencent les opinions et le comportement des citoyen·ne·s.

Daniel Bischof

Daniel Bischof est Ambizione Grant Holder à l'Institut de sciences politiques de l'Université de Zurich et professeur associé de sciences politiques à l'Université d'Aarhus (Danemark). Auparavant, il travaillait comme maître-assistant à la chaire de politique comparée de l'Université de Zurich et était chercheur invité à l'Université de Harvard. En 2016, Daniel Bischof a obtenu son doctorat à l'Université de Leicester en Angleterre, après avoir terminé ses études de sciences politiques à Bamberg (Allemagne). Ses recherches portent sur la manière dont les normes politiques et l'opinion publique évoluent au fil du temps, ainsi que sur les rôles qu’y jouent les partis politiques et les processus de socialisation.

Prix de la Relève argent

Frey, Felix et Anne E. Hasselmann (2021) : Stones at War, The Chelyabinsk War Exhibition of 1946 and Soviet Environmental Thought, dans : Environmental History 26,3, pp. 533-554. https://doi.org/10.1093/envhis/emab021 

La conception soviétique de l’être humain et de l’environnement dans l’après-guerre

En 1946, le musée régional de Tcheliabinsk a ouvert une exposition sur le rôle de l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, appelée « Great Patriotic War ». L’accent n’y était pas mis sur les performances humaines, mais sur les ressources minières de la région sud de l’Oural : les minéraux et les métaux, suggérait-on, avaient participé à la victoire soviétique en tant qu’objets importants pour la guerre. L’exposition s’étendait de la formation préhistorique de ces ressources minérales à leur présence contemporaine dans la région et à leur importance pour la victoire soviétique. Elle reliait ainsi d’une part les développements géologiques et historiques, et d’autre part le niveau régional et national.

Dans leur article primé, Felix Frey et Anne E. Hasselmann décrivent de manière impressionnante comment l’exposition de Tcheliabinsk s’est inscrite dans la compréhension internationale et spécifiquement soviétique de l’être humain et de l’environnement : en donnant le rôle principal aux ressources minérales, elle a montré comment les facteurs environnementaux permettent et limitent en même temps l’action humaine. Cela correspondait à une conception des géosciences répandue à l’époque au niveau international. En même temps, l’exposition soulignait que seul le « nouvel homme soviétique » avait réveillé les ressources minérales de leur sommeil et leur avait conféré une utilité. Elle attribuait ainsi à l’être humain le rôle dominant dans son interaction avec la nature et correspondait au récit patriotique exigé.

Extrait du communiqué de presse de l’ ASSH

Lauréat·e·s : Felix Frey et Anne E. Hasselmann

Felix Frey

Felix Frey a étudié l'histoire et la littérature slave à Zurich et Sarajevo. En 2017, il a déposé sa thèse de doctorat sur la politique énergétique soviétique dans l'Arctique à la chaire d'histoire de la technique de l'EPF Zurich, qui a été publiée en 2019 chez Böhlau. Dans le cadre d'un assistanat postdoctoral à l'Université de Berne, il a entamé un nouveau projet de recherche dans lequel il s'intéresse aux tribunaux de la charia dans la Bosnie-Herzégovine des Habsbourg. Actuellement, Felix Frey est chargé de cours externe à l'Université de Zurich et enseigne l'histoire de la cartographie suisse pour l'Office fédéral de topographie.

Anne E. Hasselmann

Après des études d'histoire et de littérature slave aux universités de Zurich et de Hambourg, Anne E. Hasselmann a effectué des recherches sur la mémoire muséale de la guerre en Union soviétique à l'université de Bâle. Cette année, elle a publié sa monographie « Wie der Krieg ins Museum kam. Akteure der Erinnerung in Moskau, Minsk und Tscheljabinsk, 1941-1956 » chez transcript. À la suite de son doctorat, elle a coordonné l'initiative de recherche « URIS » (Ukrainian Resarch in Switzerland). Elle travaille actuellement comme conservatrice assistante au Musée historique de Bâle, où elle s'occupe de projets d'exposition et de collection.

Prix de la Relève bronze

Cavadini, Thalia et al. (2021) : Emotion knowledge, social behaviour and locomotor activity predict the mathematic performance in 706 preschool children, dans : Scientific Reports (Nature Publishing Group), 11,14399. https://doi.org/10.1038/s41598-021-93706-7 

Capacités locomotrices et performances mathématiques à l’âge préscolaire

Quelles compétences en âge préscolaire posent les bases de la réussite académique ? L’article primé de la psychologue Thalia Cavadini et de ses collègues apporte une contribution importante à cette question. En collaboration avec les enseignant·e·s, les auteur·e·s ont évalué les connaissances émotionnelles, la capacité de coopération et les aptitudes motrices ainsi que les performances en mathématiques de 706 enfants âgés de trois à six ans. L’évaluation montre que les trois compétences de base nommées ci-dessus sont déterminantes pour les performances en mathématiques. De plus, elles se conditionnent mutuellement : ainsi, les enfants ayant de meilleures capacités motrices présentent un savoir émotionnel plus élevé. Les enfants qui ont une meilleure connaissance des émotions ont à leur tour un comportement plus coopératif.

Les auteur·e·s esquissent trois explications pour les liens trouvés. Premièrement, les connaissances émotionnelles et la capacité à coopérer permettent d’établir de bonnes relations avec le corps enseignant et les autres élèves. L’apprentissage étant un processus social, cela favorise la réussite scolaire. Il est supposé que les enfants ayant de bonnes capacités motrices jouent plus souvent et acquièrent donc un savoir émotionnel plus élevé. Deuxièmement, il est possible que les connaissances émotionnelles et les compétences intellectuelles se chevauchent partiellement, par exemple en ce qui concerne la dénomination des émotions et des chiffres. Troisièmement, il existe des preuves que l’activité motrice chez les jeunes enfants favorise le développement de capacités d’autorégulation, appelées « fonctions exécutives » ; notamment le contrôle des impulsions, qui permet de mieux gérer les distractions.

Lauréate : Thalia Cavadini

Thalia Cavadini est doctorante en psychologie au Laboratoire du développement sensori-moteur, affectif et social de l’Université de Genève. Ses recherches portent sur le développement typique et atypique des compétences socio-émotionnelles. En 2019, elle obtient son master en psychologie (MSc Université de Genève, orientation : approches psycho-éducatives et situations de handicap) et débute sa thèse financée par le FNS (subside Doc.CH) visant à améliorer le processus d’évaluation des personnes en situation de polyhandicap grâce à un dispositif de suivi oculaire (eye-tracking).

Trois articles scientifiques ont remporté le Prix de la Relève de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales. Ils étudient l’influence des médias sur les opinions politiques, la compréhension de I’être humain et de I’environnement dans I’Union soviétique et les aptitudes mathématiques chez les enfants en bas âge.

L’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH) décerne chaque année son Prix de la Relève à trois articles scientifiques de qualité exceptionnelle. Les lauréat·e·s reçoivent au total 18 000 francs. Cette année, le Prix de la Relève or est attribué aux politologues Florian Foos (London School of Economics, au moment de la publication) et Daniel Bischof (Université de Zurich). L’historien Felix Frey (Université de Berne) et l’historienne Anne E. Hasselmann (Musée historique de Bâle) remportent l’argent et la psychologue Thalia Cavadini (Université de Genève) le bronze.

Communiqué aux médias