Qu’est-ce qu’une école juste ? Comment la construire au plus près des exigences du monde contemporain ? Par quels outils politiques, pédagogiques et matériels ? Répondre à ces questions demande de considérer l’éducation dans sa dimension collective, en lien avec la nature et les besoins de la société, les choix politiques, les nécessités économiques et bien d’autres choses encore. C’est là qu’intervient la sociologie de l’éducation. Non pas pour donner des solutions clés en main à des problèmes aussi complexes que, par exemple, la définition et l’organisation des parcours d’apprentissage, les liens entre formation et emploi ou encore l’inclusion de tous les élèves à l’école, mais pour apporter des éléments de réponse dont les acteurs sociaux, politiques et pédagogiques devront s’emparer pour améliorer l’école de demain.
Les solutions les plus « évidentes » sont souvent les plus néfastes
La polarisation des débats contemporains, sous l’influence des réseaux sociaux et d’une culture de l’efficacité immédiate, tend trop souvent à valoriser les slogans simplificateurs porteurs de fausses solutions. Or, en matière d’éducation, les solutions les plus simples et « évidentes » sont souvent les moins adéquates, voire les plus néfastes, tant il est vrai que l’ampleur et la qualité des apprentissages dépendent de facteurs nombreux et complexes. Parmi ceux-ci on peut évoquer des facteurs liés simplement aux individus bien sûr, mais aussi ceux relevant des contextes éducatifs et sociaux.
Il peut par exemple sembler évident que séparer les élèves dans des classes différentes en fonction de leur niveau d’apprentissage est une excellente solution pour les faire progresser. On sait pourtant aujourd’hui que de telles pratiques limitent les possibilités d’apprendre pour les plus faibles sans pour autant permettre aux plus forts de mieux progresser. C’est ainsi que nombre de cantons, notamment en Suisse romande, ont opté pour un assouplissement du système des filières dans le secondaire I, suivant les résultats de nombreuses recherches sur cette question.
Au-delà de ce constat, la sociologie de l’éducation montre que derrière les résultats scolaires des élèves se cachent d’autres caractéristiques telles que leur milieu social, leur genre ou leur parcours migratoire. Plus précisément encore, la recherche montre le poids des stéréotypes négatifs associés à certains groupes sociaux ou encore des expériences malheureuses liées à la ségrégation scolaire.
Il faut dénoncer les situations de domination
En d’autres termes la sociologie de l’éducation ne se contente pas d’un regard critique sur les institutions éducatives. Elle propose aussi de mettre au jour les mécanismes producteurs d’inéquité, d’exclusion ou encore d’inefficacité. Le seul fait de révéler ces mécanismes, trop souvent masqués par les habitudes et les fausses évidences, permet d’en limiter la portée en donnant aux acteurs la force d’agir autrement.
Les travaux sur les inégalités de genre en éducation en sont une excellente illustration. Révéler les biais souvent inconscients qui poussent les élèves de sexe féminin à éviter les orientations dans les filières scientifiques, ou démontrer la moindre attention qui leur est accordée lors des prises de parole en classe sont autant de moyens d’une prise de conscience de ces phénomènes par les acteurs sociaux — enseignant·e·s, élèves et parents, notamment. Cela ne suffit pourtant pas à réduire ces situations d’inéquité, d’où la nécessité d’une action publique en la matière dans le but de changer les mœurs, réduire les pratiques discriminatoires, dénoncer les situations de domination.
Enseigner c’est aussi s’armer d’une réflexion critique sur soi et sur son action
Ainsi, la sociologie de l’éducation — comme d’autres disciplines académiques — peut travailler à construire une école plus juste et équitable à condition que les acteurs sociaux et politiques s’emparent de ses résultats et les transforment en actions concrètes. Cela passe par la diffusion dans le débat public des travaux de cette discipline, mais aussi par son inclusion dans la formation des acteurs clés de l’éducation que sont les enseignant·e·s du primaire et du secondaire ainsi que les chef·fe·s d’établissement.
Enseigner, ce n’est pas seulement organiser les différents temps d’apprentissage et maîtriser les contenus comme les gestes pédagogiques. C’est aussi s’armer d’une réflexion critique sur soi et sur son action pour déceler, parfois dans les attitudes les plus banales et les évidences les plus ancrées, les ressorts de la discrimination et des inégalités. Et dans cette réflexion critique, la sociologie de l’éducation joue un rôle de premier plan en révélant le poids des inconscients collectifs sur les institutions, leur fonctionnement quotidien et leurs effets sur les destins individuels et collectifs.
L’auteur
Georges Felouzis est sociologue, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Il enseigne la sociologie de l’éducation et les méthodes quantitatives. Dans ses travaux et ses écrits, il s’est spécialisé dans l’étude des inégalités et des politiques publiques d’éducation ainsi que dans les formes de marchandisation de l’éducation.